Hommage à Henri Gougaud
Lorsque s’en vont ceux d’entre nous qui ont porté haut leur flamme, partageant lalumière de leur poésie, impossible d’écrire qu’ils se seraient « éteints »!
En ce 6 mai 2024, Henri Gougaud a quitté ce monde… Seulement pour ce qui est de sa part palpable.
Amitié indélébile, reconnaissance, respect, admiration… Tels sont les mots que levent apporte à nos oreilles, avec des accents de partout.
L’APACC rend hommage à l’homme, au conteur, au poète, au transmetteur.
Henri Gougaud fut grand tisseur de littératures orales et écrites. Leur étreinte futsouvent indémêlable, car le mariage était heureux !
Ceux qui ont suivi longuement son atelier parlent d’un maître d’oeuvre, qui accompagne chacun dans une grande bienveillance, transmet les secrets de l’outil, en soulignant l’importance d’être toujours libre…
Lorsque les apprentis commençaient à fortifier leurs ailes, il leur disait de suivre leur propre chemin, en restant fidèles à eux-mêmes.
Voici donc le moment venu, Henri, de te dire un immense merci.
Pour beaucoup d’entre nous, c’est avec le coeur gros, mais pleins de tes mots.
Nous te souhaitons bon voyage.
PS : Il nous plaît de penser qu’à ton arrivée, ce sacré Bernard Pivot t’ait ouvert laporte en disant : « Ah te voilà, Henri. Installe-toi. On va faire le tour ensemble, je viensjuste d’arriver! »
Voici, un texte d’hommage de Nathalie, qui a travaillé longtemps à ses côtés.
Henri Gougaud est mort.
Impossible.
C’est une fake news.
Il nous fait un tour à la Nasr Eddin : Alors qu’un moribond réveillé tambourinedans son cercueil et réclame de sortir, le hadj chuchote : « Arrête de bouger et tais-toi ! Tu vas pouvoir entendre ton éloge funèbre, veinard ! »
Henri Gougaud aurait certainement aimé entendre son éloge funèbre. Il ne craignait pas de dire que les compliments l’émoustillaient et lui donnaient du coeur à l’ouvrage. Un jour qu’il doutait de son écriture et qu’il avait délaissé sonbureau pour faire sombrement le tour du lac de Vincennes, il a vu une femme sur un banc qui lisait Bélibaste. Joyeux, il est retourné à sa plume.
Henri Gougaud est mort.
Impossible.
Il semblait si fort planté là, dans le temps. Il semblait éternel. De sa voixtranquille et chantante, il semblait conter à l’oreille pour l’éternité. On pouvaitmême se dire qu’au jour de notre propre mort, il viendrait nous veiller. Il n’avaitpas d’âge. Comme si, à un moment donné, il s’était arrêté de vieillir.
Henri Gougaud est mort.
Impossible de dire des périphrases comme « il est parti, il nous a quittés, il apassé ».
Il est mort.
Il n’avait pas peur du mot. Il en parlait familièrement comme d’une simpledouane qui n’interrompt certainement pas la vie. La mort arrête juste lebattement d’un corps. Il disait même que la mort ne résout rien et que le mystèrese dérobe encore dans l’au-delà. Que c’est une étape avant de revenir ripailler denouveau avec les ignares.
Henri Gougaud est mort.
Non. Comme il l’a dit, ses mots restent, sa voix nous reste. Il a dit ce qu’il avait àdire, et à le dire il a dédié sa vie. Il nous a laissé une oeuvre immense, uneprofusion de romans, de livres de contes, de chansons, de poèmes… Il travaillaitbeaucoup, il travaillait lentement. Chez lui la tortue l’emportait sur le lièvre.D’un pas égal et régulier, il composait ses livres. Après avoir fui ses originespaysannes, il les avait rejointes, disait-il : chaque jour, à l’encre, il traçait dessillons.
Cette oeuvre prolifique nous reste. Dès qu’on le lit, on l’entend. Sa voix, sa parolesont intensément nourrissantes. C’est une averse sur l’herbe sèche, un rayon quimue l’herbe en fleur.
Henri Gougaud est mort.
Il emporte avec lui un monde qui rend profondément nostalgique. L’atmosphèrede ces aèdes des années d’après-guerre, qui se méfiaient du fric et du pouvoir.L’atmosphère des Brassens, des chanteurs de l’Écluse, des anarchistes.«L’avidité ( des humains), dit l’ange dans « le rire de l’ange », la hargne degoûter à la toute puissance, voilà leur maladie. C’est comme un puits qui lesfascine. Ils ignorent qu’il est sans fond. S’ils descendent, ils seront perdus. Ilscroient qu’ils veulent peu, ils voudront toujours plus… Et donc ils sedessécheront, privés de l’eau qui mouille l’âme. Ils se pétrifieront. …Ils neparleront plus que bardés d’armes lourdes et plutôt que d’aimer, ils jouiront sansjoie de stratégies gagnantes. Malheur, savoir cela et se voir impuissant ! »
Même si il était connu et installé, Henri Gougaud gardait prêts sa canne depèlerin et son orgue de Barbarie. La route restait toujours une option.
Henri Gougaud aimait les anges.
Il disait souvent qu’il écrivait sous leur dictée. Il les a fréquentés assez pourpouvoir leur flatter les ailes, maintenant qu’il les a rejoints et nous observer enriant.
Sa présence lui survit et il vous arrivera sûrement de l’entendre conter quelquechose, un jour ou l’autre, perché sur votre épaule.
Henri, tu es seulement parti un peu plus tôt que ceux et celles qui te pleurent.
Tu nous laisses un essaim de plumes pour que le chemin nous soit plus léger.
Aucun Léthé ne te coupera la parole ni n’effacera ta mémoire.
A nous de continuer à conter en puisant dans tes livres.
Fais-nous confiance pour te voler.
Fais nous voler, pour colporter ta confiance en la vie, en l’espoir, en la beauté du monde.
Nathalie Léone.
Et voilà l’au-revoir rédigé par Henri en mars dernier et publié sur sa page facebook :
Chers amis,
Les temps sont venus où nos routes vont se séparer, je vais désormais emprunter les chemins de l’intime au gré de l’amour de mes tout proches. Je me laisse découvrir chaque matin l’imprévisible, qu’il m’emporte encore plus loin vers le désir et la force de dire oui, de dire non, de rire au ciel, d’écouter la tendresse.
Si vous voulez me retrouver, feuilletez les pages des livres que j’ai écrits, fredonnez les ritournelles que j’ai chantées, j’y serai tel que vous m’avez connu.
Comme je ne me suis réclamé de personne, ne vous réclamez pas de moi.
J’ai eu pour ambition secrète que mes mots vous délestent des maîtres et chapelles qui vous empèsent les rêves
Alors quittons-nous sur une Pensée de Walt Whitman
« Je vous adjure de laisser tout libre, comme j’ai laissé tout libre.
Qui que vous soyez me tenant à présent dans la main, lâchez-moi et partez sur votre propre route. »
Henri Gougaud
Le 11 mars 2024